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'Attaque - Humain' :

Kelpi attaque Arkos à 300.
Élémentaire attaque Talya à 500.



L'initiative revient à : l'équipe des aventuriers.


Vitesse cumulée des aventuriers : 2869.

Arkos : 1450
Vitesse : 996
Dégâts : 1034 (+26/tour)


Ehawee : 1650
Vitesse : 1105
Dégâts : 1085

Talya : 655
Vitesse : 768
Dégâts : 721




Vitesse cumulée des créatures aquatiques : 1500.

Kelpi des mers : 1600
Vitesse : 500
Dégâts : 300
Butin : x1 Écaille de kelpi

Butin : x1 Fiole d'eau élémentaire

Élémentaire d'eau 2 : 879 (+100/tour)
Vitesse : 500
Dégâts : 500
Butin : x1 Fiole d'eau élémentaire

[Attaque Elementaire d'eau 2]

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'Attaque - Humain' :

Un élémentaire d'eau avait été neutralisé, qu'en était-il des autres assaillants ? L'elfe pivota sa tête pour observer les alentours et elle vit la confrontation entre la seconde créature aqueuse et la telluromancienne. D'abords poétique, l'étrange et improbable échange entre les deux êtres tourna ensuite brutalement en combat puisque les deux partagèrent des gnons à la place des caresses. L'archère eut d'ailleurs été stupéfaite de la vivacité de Talya malgré le cocktail douteux ingéré plus tôt. Toujours aussi réactif, ce fut Arkos qui eut en premier le lieu le temps de prêter main forte à l'humaine. D'une flèche redoutable, il eut complété le coup de pied impressionnant de l'ifrienne et mit en déroute l'élémentaire.

Enfin, c'était ce que tout le monde pensait, mais ces créatures, étant faites par hydromancie, n'étaient pas des créatures standards et il pouvait arriver que les conditions soient réunies pour que des phénomènes magiques incontrôlables se produisent. D'une force qui semblait venir d'ailleurs, les éclaboussures présentes sur le pont se rassemblèrent pour former un nouveau corps, étiolé, fragilisé, mais pas vaincu. La mystique entité dégageait une chaleur malsaine et les particules qui la constituaient paraissaient bouillonner. Se tournant en direction du rôdeur, elle semblait être revenue du trépas pour assouvir sa vengeance...Après une charge aérienne phénoménale, elle emporta sa cible avec elle par dessus bords avant de rejoindre les profondeurs.

Bouche bée devant un tel spectacle, l'archère courut vers la rambarde afin de percevoir le moindre signe de l'humain à la surface...Mais le kelpi, animé du même esprit de colère, n'allait la laisser se soucier de son coéquipier sans broncher. Il fonça sur elle, l'emmenant aussi dans l'eau avant la rejoindre. Les événements s'enchaînèrent très vite, la panique la gagna et, plongée dans la mer, elle plissa les yeux en espérant voire la silhouette de son allié. A la place, de voir une forme familière, elle fut accueillit par l'équidé enragé qui était désormais bien plus à l'aise dans cet espace. Allait-elle réussir à s'en sortir ? Que pouvait-elle bien faire, en tant qu'archère, pour se sortir de ce faux pas ? Et surtout, qu'en était-il d'Arkos ? Encore une fois, la créature ne lui laissait pas le luxe de se poser des questions et fonçait dans sa direction. Néanmoins, la zéphyrienne ne se laissait pas abattre de la sorte, même en situation délicate. Elle eut apprit ces derniers temps, qu'un peu de courage dans les moments difficiles pouvait résoudre bien des soucis et ce principe était en parfaite adéquation avec ses nouvelles capacités. Sa paume, pointée vers l'avant, scintillait de plus en plus dans les ondes maritimes et un dégagement d'énergie chamboula les courants d'eau à l'approche du kelpi avant de s'éclater sur lui.

(Attaque kelpi)

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'Attaque - Elfe' :

Les événements prenaient une étrange tournure… du moins, pire encore que ce qu'on pouvait imaginer. Talya continuait de virevolter parmi les innombrables pensées qui la tourmentaient et par tourmenter, il y avait une sorte de fascination toujours plus morbide face aux nombreuses, très nombreuses hallucinations qu'elle expérimentait. Il n'y avait plus vraiment de bas, et le haut était un concept lointain désormais, qui ne signifiait plus grand chose depuis qu'elle avait déguster cette délicieuse potion. Mais voilà, l'élémentaire d'eau qui menaçait la pugiliste venait de se faire calmer par Arkos, le chevalier servant qui, son travail accompli subit la violente vengeance de l'autre élémentaire. La jeune fille l'avait vu depuis sa hauteur sur le pont supérieur. Son cerveau eut énormément de mal à comprendre qu'il venait de se faire emporter dans les profondeurs, en fait, c'est à peine si elle l'avait vu, mais son petit cœur rempli de naïveté et d'altruisme ne put résister, elle se précipita sur le bord du bateau pour observer l'océan dans lequel il s'était fait englouti.

La guerrière ressentit soudainement son impuissance, face aux flots, distordu par son esprit drogué, elle n'y voyait plus rien. Le début du bad trip ? Non, elle fut très vite déconcentrée par les tremblements du bateau, des tremblements imaginaires venant d'un énorme homme-arbre qui traçait tranquillement sa route sur le bas côté, littéralement en plein milieu de l'eau, sifflotant au vent, comme si de rien était. Les mots : « Un arbre qui porte un bateau » lui revenait en mémoire comme un électrochoc. Un énorme sourire carnassier, dans le bon sens du terme, de la joie, celle d'avoir vu un énorme arbre qui marchait en portant un bateau. Elle aurait pu retomber sur le dos en se disant que la vie était foutrement belle, mais elle restait loin de cette idée pour comprendre qu'elle était toujours en danger vis-à-vis de ce cheval hippocampe qui n'avait pas dit son dernier mot. Elle réglerait cette histoire à sa manière, en temps qu'élue d'une déesse complètement pétée à la potion hallucinogène… ça promettait.

Ça paraîtrait presque classe dit comme ça, dans la pratique, c'est pathétique. Ses réflexes de guerrière allaient et venaient sans sens prédéfini. Des fois, elle était prête à éclater une armée entière, et des fois, elle n'était bonne qu'à décuver dans un coin de la cale en laissant le sale boulot à l'elfe.

Tout le monde se jetait à l'eau de nos jours, rien de bien pour la peau tout ce sel… le pire dans l'histoire, c'est quand on sait pas nager, comme Talya. Il ne restait plus que le Kelpi. La pugiliste Observa la scène, impuissante face à cette confrontation, Ehawee était seule dans l'eau sans aucune aide possible de la part de la jeune femme qui l'accompagnait. Sur la rambarde, debout, tenue par un cordage qu'elle avait du mal à saisir convenablement, manquant de tomber à plusieurs reprise, elle continuait de regarder l'elfe se débattre contre le Kelpi.

Ses yeux s'illuminèrent à la découverte des pouvoirs de l'elfe, des pouvoirs qu'elle ne comprenait, mais alors pas du tout, mais qui en envoyait plein les mirettes. La lumière, la puissance, elle l'avait senti dans tout son être, liée à son équilibre précaire, elle trébucha du rebord pour tomber sur le pont principal. Elle se sentait bien… inutilement bien.

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'Attaque - Humain' :

Kelpi attaque Arkos à 300.



L'initiative revient à : l'équipe des aventuriers.

Vitesse cumulée des aventuriers : 2869.

Arkos : 1150
Vitesse : 996
Dégâts : 1034


Ehawee : 1650
Vitesse : 1105
Dégâts : 1085

Talya : 655
Vitesse : 768
Dégâts : 721




Vitesse cumulée des créatures aquatiques : 500.

Kelpi des mers : 515
Vitesse : 500
Dégâts : 300
Butin : x1 Écaille de kelpi

Butin : x1 Fiole d'eau élémentaire

Butin : x1 Fiole d'eau élémentaire

La projection d'énergie spirituelle ébranla l'équidé qui tourbillonna quelques instants dans l'eau sans pour autant l'achever. Ehawee devait maintenant attiré l'énergie vers elle afin de la récupérer et elle devenait malheureusement assez vulnérable durant ce laps de temps...Ces quelques instants permirent au kelpi de déverser sa rage contre une silhouette qui voguait difficilement au loin. Entre les vagues des mers maudites, l'archère put reconnaître pendant une fraction de seconde le corps d'Arkos tentant de rester à la surface. Le coeur de l'elfe ne fit qu'un bond et elle se hâta de nager jusqu'à lui, mais la distance les séparant augmentait de plus en plus il devenait très dangereux de s'éloigner du bateau.

Les murs d'eau entourant la femme étaient bien plus grand qu'elle et un coup d'oeil sous la surface lui fit apercevoir des formes obscures, habitantes de ces contrées maritimes et tortueuses. La panique s'empara d'elle, la petitesse bien plus. Elle devenait totalement dépourvue, entravée par les courants, impuissante. La silhouette du rôdeur avait désormais entièrement disparue, il ne restait que les menaces sous-marines. Ehawee prit peur pour sa vie, elle ne s'était pas accrochée à une corde alors elle brassait l'eau de toutes ses forces, dans l'espoir que les vagues ne la séparèrent pas trop de l'embarcation. Par chance, les remous tumultueux ne le furent pas assez et plus elle s'approchait de Salvator et Talya plus elle pouvait entrevoir la fin de ce calvaire. Mais l'équidé qui les avait agressé plus tôt était revenu vers elle. Il tentait de l'emporté dans les profondeurs, elle aussi, et un combat au corps à corps sous la surface s'engagea. Avec le peu d'oxygène qui lui restait, il semblait difficile de manipuler l'énergie spirituelle, alors elle improvisa, bien plus dans sa détresse que par un mouvement réfléchi. La zéphyrienne s'empara d'une flèche qui était restée fichée à son carquois et la planta dans le cou de la créature. Comme cette dernière gesticulait encore, elle réitéra rapidement l'opération pour l'achever.

Ehawee reprit sa respiration et tenta de s'agripper au bateau, difficilement. Elle interpella alors l'humaine qui, espérait-elle, avait peut-être retrouvé un semblant de conscience pour qu'elle l'aide à remonter.

Qu'elle puisse enfin quitter cet enfer aquatique.

(Achève le kelpi.)

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'Attaque - Elfe' :

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#1 'Ouverture des sacs' :


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#2 'Ouverture des sacs' :

Allongée sur le parquet froid et craquelé du bateau, les effets de la potion n'étaient pas partis. En fait, de bases, si vous ne l'aviez pas encore remarqué, les effets n'ont jamais été bons pour la jeune pugiliste. Elle semblait complètement ailleurs, plus grand chose ne se passait dans sa tête et les hallucinations restaient une étrange habitude installée, comme si, depuis le début, tout était parfaitement normal. Les couleurs continuaient de se mélanger, les personnages les plus surprenants apparaissaient pour disparaître dans l'instant, les vieux souvenirs du visage qui, jusqu'alors, lui semblait si familier manquait presque d'intérêt, un intérêt morbide rassurant son cœur dans leur disparition. Avant même que son visage ne puisse dévoiler une quelconque émotion, la voix d'Ehawee lui frappa les oreilles dans une résonance toute particulière. Elle était sur le bateau… du moins, elle y était toujours. Elle se redressa sur ses jambes, bafouillant quelques pas jusqu'au rebord, elle pencha la tête, l'elfe dans l'eau.

Elle se tourna vers le vieux cordage. Dans sa disparition momentané de réflexion lui vînt une idée. Elle attrapa une poulie, en extirpa la corde pour la jeter par-dessus bord. Pas besoin de parler, savait-elle encore parler ? Sans penser, Talya bondit hors du navire, corde entourait autour de son bras, servant de mousqueton improvisé, dans l'élan, elle attrapa la main de l'elfe. Reprenant appui sur le bord du navire, elle l'aida… ou peut-être était-ce Ehawee qui l'aidait à remonter… peu importait, elles venaient de retomber lourdement sur le sol boisé de l'embarcation. La jeune fille restait un peu perdue par les événements, à genoux aux côtés de sa coéquipière d'infortune, elle venait de planter ses iris bleutées dans ses yeux.

-Hé ! C'est pas fini, y' a encore Arkos à l'eau ! Il est où Arkos ? J'te parle oreilles pointues ! Il est où Arkos ?!

Talya ne bougeait plus, elle croyait comprendre ce qu'il se passait. « Oreilles pointues » n'avait pas besoin de parler pour qu'elle comprenne. Arkos était à l'eau, pour de bon. Le souffle de la guerrière commençait à se saccader, cette soudaine excitation pour la sortir de l'eau lui prenait le corps avec violence et soudaineté. Sa vision était devenue complètement flou, tourner était désormais un doux euphémisme, le tout, se terminant par la délivrance d'une perte de conscience, s'écrasant, tête en arrière, sur le sol.

Aucun souvenirs de cette nuit forcée.

Ses paupières frémirent, petit à petit, elles vinrent à s'ouvrir. Le focus de ses pupilles sur un plafond instable, elle n'avait plus le tournis, son corps se balançait dans un hamac, lié entre deux poutres : celui dans lequel elle s'était déjà permis une première pause avant… avant la concoction surprise d'Ehawee. Sa main se porta lentement à son front, la douleur apparue, elle avait le cerveau en compote, soit dû à la potion, soit à son mal de mer si ce n'était les deux. Un long grognement lui échappa alors qu'elle se redressa pour poser pieds au sol. Dans la cale, donc, bien, très bien, elle se souvenait où elle se trouvait, mais pas du reste. Elle se repassait la cassette passée de son arrivée sur le bateau. Le grand arbre qui parlait et qui marchait. L'elfe. Le fou de la proue. Salvy. Le mal de mer et… maintenant.

-Y' a quelqu'un ?

Pas de réponse, personne. La pugiliste se leva enfin pour comprendre la nouvelle douleur qui traversait son dos, avait-elle pris un coup ? S'était-elle fait assommer ? « Aïe ». C'était ce qu'elle pouvait en penser pour l'instant. Gravissant les marches raides, s'apparentant à une échelle, elle arriva sur le pont principal. Une brise calme frappa son visage, le soleil brillait au-dessus et il faisait bon, très bon… un temps qui aurait tellement pu donner le sourire en temps normal, elle l'avait, ce léger rictus frustré qui cachait quelque chose. Les flots aussi étaient d'un calme presque plat.

-Va sur le pont supérieur, va falloir que tu causes à l'elfe. Talya l'oubliait presque celui-là. Montes les marches juste devant toi, idiote. J'vais quand même pas t'expliquer c'que c'est un pont supérieur.

Instinctivement et après un haussement d'épaules, elle s'exécuta pour trouver Ehawee. Dans l'excès nostalgique précoce d'avoir quitté les terres qui l'avaient vu naître, elle se positionna à l'arrière du bateau, pour observer un horizon qui n'offrait plus de plage. Mais son cœur se sera pour une autre raison.

-Ehawee ?... Je crois que je me souviens. Il est mort, c'est ça ?

Alors que Ziggy Zolero somnolait tranquillement aux côtés de Sval, celui-ci l'avait réveillé tout d'un coup, excité comme un étalon en rut.

- Ziggs ils ont repéré un autre navire !!! On va l'accoster bordel !!! Allez viens !!!

L'humain grommelait, détestant les réveils provoqués. Après une série de râles, son ami le secouait et lui donnait des coups de pieds, et Ziggy achevait son somme au sol, à moitié en train de rire, amusé par l'entrain de Sval, et à moitié dans les vappes.

- Boloss, on va pas louper ça parce que t'as siphonné deux bouteilles de rhum ! Allez debout !
- Ok ok, j'arrive.... je m'habille.

Il s'était redressé, en baillant plusieurs fois, et décidait finalement de mettre des vêtements comme l'excitation le gagnait ; son premier abordage ! Quelques minutes plus tard à peine, il était sur le pont principal tandis qu'un nain semblait désigner les participants. L'espace d'un instant et bien que la perspective de participer à un pillage l'excitait, il se dit qu'il aurait tout aussi bien pu rester dormir et filer un peu de poudre à un des participants afin qu'il ne le lui raconte en détails. Dormir c'était quand même génial...

Oh merde, le nain le pointait du doigt. Bon... il embarquait aux côtés de marins tous aussi enragés les uns que les autres, torse nus, et hurlant de joie, et il se dit que finalement il était bien aussi. L'un d'entre eux lui passait un bras autour du coup en chantonnant, ce qui finissait de l'éveiller ! Aaaaha ! Il était prêt !

Quelques instants plus tard ils étaient sur le navire des intrus, et comme chaque homme du nain se tenait en position, les muscles raidis, prêts à bondir, Ziggy quant à lui était préoccupé par d'autres affaires. Il s'adressait à l'une des envahies, la plus jeune, en ôtant la chaîne qui reliait son grimoire magique et se préparait à écrire :

- Pourriez-vous décrire très rapidement, jeune demoiselle, la sensation d'être prise au piège ? Avec vos mots, pas besoin d'élaborer, je crains que la situation ne dégénère très vite d'ailleurs... Donnez votre or, ça sera beaucoup moins douloureux et nous ne sommes pas des assassins, mon enfant.

Voyant que Sval semblait vouloir l'assassiner du regard quant au décalage de son attitude sur le moment, il haussait les épaules. Les histoires d'abordages et flibustiers, ça rapporte pas mal, et il n'aurait pas beaucoup d'occasions d'interroger leurs victimes. Et comment était-il sensé s'y prendre une fois les deux donzelles mises hors d'état de nuire ? Elles ne seraient alors pas en état de parler...

Les voilà qu'elles se réceptionnaient comme elles le pouvaient sur le plancher du navire, de Salvator, qui, affolé, ayant perdu sa malice d'il y a une heure à peine, faisait tambouriner des questions dans leurs têtes. Il n'y avait rien à répondre, Talya l'avait très bien compris, lorsqu'elle croisa ses yeux avec ceux de l'archère qui reprenait encore sa respiration. L'elfe détourna bien vite son regard qu'elle fit perdre le long du pont mouillé par le combat contre les élémentaires, trop éprise de culpabilité. Elle s'en voulait pour sûre, elle aurait aimé ne pas vivre ce moment, cette sensation de pointes qui lui poussaient le long de la nuque jusqu'à envahir tout son dos avant qu'il ne lui reste pas la moindre parcelle de peau qu'elle ne souhaitait garder. Elle aurait aimé changer de corps, se transposer, être quelqu'un d'autre, n'importe qui, sauf la personne qu'elle était et qui avait causé autant de mal.

-Hé, oreilles pointues...

La zéphyrienne commençait à haleter, peu encline à accepter, à ce moment-là, l'état des choses. Tout ce qu'elle avait voulu faire était aider ces gens et à la place, l'un était mort, l'une était droguée ! Cette dernière d'ailleurs, commençait à choir, ce qui extirpa l'elfe de ses pensées tortueuses et la fit la rattraper juste avant que sa tête ne bute contre les lames en bois. Ehawee réfréna ses larmes, poussa toute sa haine et sa peine dans un coin de son esprit et se retroussa les manches pour porter l'humaine dans le hamac de la cale. Au moins, cette fois-ci elle pourrait se reposer et l'elfe se garda bien de lui administrer la moindre petite chose. Débouchant à nouveau sur le pont principal, la nuit tombait, et les ombres qui la composaient ne lui permirent pas de trouver sommeil.

Installée au poste de vigie, l'archère laissait traîner lentement ses pupilles imbibées de colères sur l'horizon nocturne et les formes aqueuses révélées par quelques rayons lunaires. Dans son insomnie, elle ressentit une solitude immense. Elle n'avait plus d'allié avec elle, pas un esprit n'était dans les parages pour la guider et même le démon du navire ne lui avait dit mot depuis qu'il avait réalisé la perte d'un membre de l'équipage. Tout était si acerbe. Elle s'était obligée à monter la garde, mais au bout de quelques heures d'obscurité, un vertige commençait à se saisir d'elle. Aussi préféra-t-elle descendre maintenant sur le pont supérieur afin de ne pas mourir d'une stupide chute, jugeant que le navire avait eu son lot de tragédie pour aujourd'hui. Assaillie par le froid, elle se recroquevilla en boule dans sa cape et contre une rambarde pleine, la protégeant en partie des vents. Peu à peu, son état de fatigue avancé eut raison d'elle et son esprit céda dans les limbes du sommeil, et le bois l'accompagna. Comme pour montrer que même dans ces mers maudites, un esprit veillait sur elle, Salvator fit tordre les planches contre lesquelles elle s'était endormie, afin de la couvrir un peu plus et l'empêcher de trembler autant, au moins cette nuit-là.


Le balancement des vagues et les lueurs chaleureuses d'un matin ensoleillé réveillèrent calmement la femme qui aurait pu apprécier cela si son corps engourdi ne lui faisait pas tant souffrir et si aucuns souvenirs de la veille n'étaient revenus. Émergeant à nouveau, elle prit un moment pour rassembler ses esprits, avant de se lever et d'affronter un autre jour sur ces flots impitoyables. Car c'était bien de cela dont il était question, survivre, et espérer arriver en un seul morceau sur Wystéria. Après une brève toilette, un petit encas, elle rassembla son équipement et se tint prête à d'autres éventuelles menaces, l'arc et le carquois assuré à son dos. Elle étudiait la carte de l'itinéraire près du gouvernail lorsqu'un son distinct de pas retentit en provenance de la cale. Une silhouette crevait les marches du pont supérieur.

-Ehawee ?... Je crois que je me souviens. Il est mort, c'est ça ?

La voix de la jeune humaine résonnait avec une émotion que l'elfe ne put se décrire sur le moment. Elle la comprenait avec un temps de latence, se disant premièrement que la fille semblait en meilleure état désormais. Puis les phrases firent leur chemin dans sa tête et elle voulut fondre sur place, se décomposer, et tout le sérieux avec lequel elle avait réalisé les petits gestes simples du matin s'effritait. Elle s'en rendait compte désormais, elle n'avait rien d'une guerrière, sa face était blême, ses cernes, considérables, et sa main tremblait en présence de la pugiliste. Elle la regarda fixement, d'un air dépourvue, mais il fallait bien finir par mettre des mots sur ce qu'il s'était produit.

-Il a disparu dans les vagues, fit-elle les yeux baissés. Il était trop loin. Son ton était distinct, mais elle faisait tout pour ne pas qu'une fébrilité la fasse dérailler. Je...Un remous dans l'eau entreprit de la faire vaciller, mais ce n'était qu'un prétexte pour qu'elle se coupe elle-même, reprenne son souffle, mesure l'étendue de ses mots, et réessaye. Je suis dés- Hah !

Un coup dans la coque surprit les deux femmes qui se retournèrent, aux aguets. N'avaient-elles pas eu assez de mésaventures ? Plusieurs grappins voltigèrent jusqu'au pont, suivis très vite par leurs propriétaires. Les pirates étaient venus réclamer "leur dû". En les voyant débouler, la brune banda vivement son arc mais son assurance commençait à défaillir au fil des arrivées et l'avantage du nombre était de leur côté.

-Héé mais pour qui il se prend lui ?! fustigea Salvator lorsque le nain ingrat projeta sa salive sur le plancher. Et comme pour correspondre encore plus au personnage vulgaire qu'il paraissait être par ce geste, il invectiva directement l'archère.

- B'jour m'dame, argh pas toi l'elfe, r'tourne bouffer des vers. Donc, humaine, b'jour. C'est bête, on v'nait profiter d'la baston... Bwarf, c'pas grave, z'avez b'en l'droit d'vous amuser sur nos terres... Enfin nos mers... Mais c'pas gratuit ma belle.

La bouffeuse de vers lui darda deux pupilles injectées de sang, uniquement dues à la fatigue, mais elle semblait médusée. Elle mit un moment à comprendre qu'elles se faisaient tout simplement aborder et l'information bifurqua dans son cerveau comme un électrochoc. Un léger sourire nerveux étira ses lèvres. *Ils ne veulent...que de l'argent ?* osait-elle espérer penser. Elle abaissa son arme et planta sa flèche contre une pièce en bois pour montrer qu'elle ne l'utiliserait pas contre eux.

- Pourriez-vous décrire très rapidement, jeune demoiselle, la sensation d'être prise au piège ? Avec vos mots, pas besoin d'élaborer, je crains que la situation ne dégénère très vite d'ailleurs... Donnez votre or, ça sera beaucoup moins douloureux et nous ne sommes pas des assassins, mon enfant.

L'intervention de l'homme intriguant qui se tenait à côté du nain dérouta la zéphyrienne. Pour sûr, si elle n'aurait pas été dans cet état, elle aurait trouvé la situation cocasse de voir deux pirates aussi différents. Connaissant Morgan, l'archère savait qu'il existait des voleurs des mers bien plus nobles qu'ils voulaient le faire croire. En outre le but de son voyage était bien plus important que quelques pièces, alors s'il fallait s'en délester pour arriver à destination, ce n'était pas un problème pour elle. Ce qui pouvait la déranger en revanche, était l'irrespect du barbu. Ces petits êtres qui manquaient bien souvent de tact, Ehawee avait appris à les côtoyer, étant donné ses déplacements récurrents à l'arène baldorheimoise. Finalement, bien qu'elle n'appréciait toujours guère leur style, elle n'éprouvait pas d'animosité envers eux.

Mais l'esprit de la femme était bien loin de toutes ces considérations à cet instant, qu'elles soient à propos des pirates ou des nains. Malmenée par les évènements, elle n'avait pas le coeur à se heurter à d'autres problèmes. Elle posa sans mouvements brusques son arc contre le gouvernail, et se pencha sur un sac posé contre la rambarde du pont supérieur. De là, elle en sortit une bourse contenant à peu près deux centaines de pièces d'or emballées dans une grande feuille verte. D'un pas las, elle descendit à leur hauteur et les approcha, monnaie en avant, se stoppa net à bonne distance et attendit, comme si elle tentait d'appâter un animal sauvage avec un morceau de nourriture.

-Est-ce que ce sera suffisant pour ces messieurs-dames ? déclara-t-elle avec ce flegme qu'ont certaines vieilles personnes, épuisées par la vie.

Talya n'avait peut-être pas la même approche de la mort que les personnes normalement constituées sur le plan mental. Certes, la perte d'un être proche pouvait lui briser le cœur, pas dans les dimensionx auxquelles on s'attendrait. La mort, à ses yeux, était une finalité, pourtant, loin d'être un terminus, elle se rassurait en se disant qu'il manquait encore bien trop de connaissances pour s'en attrister de manière abattue. Arkos, dit le fou de la proue, restait un inconnu, mais un inconnu qui l'avait accepté sur son bateau qui parle. Alors quelque part, elle était triste de voir un homme à qui elle aurait sûrement aimé rendre l'appareil disparaître de cette manière. La guerrière gardait ce regard un peu naïf, presque triste dans l'intensité, prête à lui offrir une partie de ses paroles pour lui alléger le cœur, pourtant, les mers maudites n'avaient pas dit leur dernier mot.

Sa tête se tourna violemment. Derrière, une poignée d'intrus vinrent à aborder le navire. La jeune fille arqua longuement un sourcil. Une véritable bande de malabars, se demandant tout d'abord si la potion de l'elfe lui tapait encore dans la caboche, l'odeur épouvantable de rhum, peinant à se faire pousser par le vent, lui grattant les narines depuis l'intérieur jusqu'à lui en donner une nouvelle nausée, lui confirma délicatement qu'elle n'hallucinait pas… plus. Ils étaient sales, parlaient mal, se tenaient misérablement, dans quelques années leur dos ne sera plus qu'un vieux flan douloureux, croyez le ou non. Enfin bref, de vrais pirates, quoi. Leur démarche était exagérément trop agressive pour impliquer une vraie attaque, essayaient-ils d'être intimidant dans la gestuelle ? Talya n'en pensait pas grand chose, les gestes, les postures, elle savait quand quelqu'un attaquait et quand il n'attaquait pas.

Ses yeux, l'espace d'un cours instant, imperceptible, s'illuminèrent d'une flamme -pas littéralement parlant- de rage, une flamme qui, pour autant, venait de s'éteindre depuis le plus profond de son cœur. Talya se connaissait, elle et ses limites. Elle avait mal au dos, mal à la tête, les bras engourdis par la fatigue, la terre était -supposément- loin et Ehawee n'avait pas l'air prête à se battre. Après tout, le courage des pirates avait plus d'hommes que l'humilité d'une élue. La pugiliste comprit vite que certains combats étaient faits pour ne pas être menés et ces gens semblaient légèrement trop limités pour pouvoir trouver un terrain d'entente diplomatique, quoi que l'homme au livre avait l'air d'avoir plus de jugeote que le reste de sa bande réunie. Un soupir exténué lui échappa. Elle ne comprenait pas du tout cet engouement pour ces petits trucs ronds un peu moche et brillant qu'elle devait absolument se trimballer pour vivre, les habitants de Dùralas, hors de ses murailles, avaient de drôles de préoccupations. Lassée, la jeune fille secoua la tête comme une mère éreintée du comportement capricieux de son enfant le ferait.

-La sensation d'être prise au piège ? Elle gloussa, presque moqueuse. Je commence simplement à prendre l'habitude. Vos menaces attendrissent mes traits, mais vous le dites vous-même, vous me prenez au dépourvu, je suis presque flattée de vous voir mettre tant de moyens pour une « enfant » et une « mangeuse de vers ». Elle se tourna vers Ehawee pour lui parler à mi-voix. Vous mangez vraiment des vers ?... Ah, je viens de comprendre que c'était simplement une insulte. Puis retour aux pirates, résignée sans amertume. Très bien… euh… Petit homme barbu qui sent très fort l'alcool et… elle pointa du doigt l'autre gugusse beau gosse qui faisait le malin, toi, je paierai.

Sa voix était tout à fait sereine et presque respectueuse comme la bienséance la forcerait lors d'une première rencontre. Oui, évidemment, ça manquait quand même foutrement de nominatifs cette histoire, elle n'y pouvait rien. C'était à peine si elle pouvait leur en vouloir d'être aussi lâche, après tout, ce disait-elle, les cultures diffèrent selon les lieux, peut-être que là, maintenant, les pirates en face faisaient quelque chose d'incroyable aux yeux de leurs semblables. Après tout, ses premiers pas dans le désert de Harena s'étaient faits en compagnie de la petite louve de la « Congrégation », un étrange rassemblement de bonhommes qui vivaient de meurtres -les gens sont fous en Dùralas- et qui, pourtant, lui avait apporté son aide sans même demander remboursement. Elle l'avait toujours, d'ailleurs, la petite broche ornée du lotus, quelque part dans son sac de voyage. Le souvenir de cette journée lui fit échapper un drôle de sourire en parallèle avec la situation, quand bien même elle souriait aux souvenirs d'une journée où elle faillit mourir… plusieurs fois.

-Peu importe. Finissons en vite, je suis sûre que vous devez avoir une longue journée de récupération de taxes devant vous.

Sur ce, pendant que Ehawee s'occupait de payer sa part, Talya descendit les marches du pont supérieur sous la menace du sabre d'un des pirates pour ouvrir le placard extérieur dans lequel ses affaires étaient rangées. De son sac de voyage, elle en sortit une bourse bien remplie. De retour, toujours cette sensation de sentir la pointe de la lame qui la menaçait lui touchait l'échine, elle lança l'argent à la femme qui, il y a de cela une poignée de secondes, la fusillait encore du regard.

-Cette somme devrez vous faire le plus grand bien, n'est-ce pas ?

J'observais les allées et venues de nos victimes avec une once de regret, mais cela ne m'affectait pas plus que ça tant l'excitation d'un premier abordage s'emparait de moi. Je détaillais mes camarades des yeux, tous fiers, immobiles, les armes à la main, et remarquait que très probablement, au premier signe d'hostilité, ils seraient ravis de teindre le pont en rouge.

Mais pas moi. D'un geste agile, tellement que je m'en étonnais moi-même, je m'emparais de la bourse tendue par l'enfant, et des pièces que tendaient l'elfe. Le nain présidant notre arrivée s'étant absenté, surement dans des pensées naines, j'en profitais pour endosser le rôle de capitaine.

- Aaaah ! Voilà qui est parfait ! Un abordage en douceur, sans accrocs, sans douleur. Veuillez m'excuser mesdames, je n'ai pas l'habitude de m'en prendre ainsi à des voyageurs, ce n'est que purement professionnel. La prochaine fois que vous passerez à Ishtar, venez donc à la Digue du Fût, si j'y suis la tournée est pour moi !

D'une courbette polie, je leur lâchais mon plus beau sourire, tandis que j'agitais l'autre main en direction de mes camarades de Faction. Y'a plus rien à voir ici, elles ont été courtoises, on va en faire de même.
Comme notre embarcation levait les voiles, j'agitais mon livre en signe d'adieu et leur livrais mes dents les plus blanches en aurevoir.

- Et bonne route surtout, faites attention aux coups de soleil !

En posant pied sur le pont de nôtre navire un des Pirates dudit Thautaudarmatuf essayait bien de me réprimer sur ma sympathie, mais en fermant le poing je lui scellait mentalement les lèvres. Blablabla, être méchant, blablabla, que des loups de mers bêtas visiblement ici. Attaquer une gosse, et une dame elfique aux manières irréprochables, bah voyons.

Le cortège grandiloquent fut amené à se retirer avec bien plus de facilité qu'escompté. L'elfe eut un profond soulagement lorsque le poète s'empara des pièces et que son groupe se dirigea vers leur embarcation sans les importuner davantage. Un peu pouvait interpellé l'archère, d'ailleurs, qui avait lu quelques histoires terribles sur ces personnages. Peut-être que les écrivains exagéraient souvent afin de pouvoir promouvoir plus facilement leur textes épiques. Saisissant, mais éloigné de la réalité ? Ou alors elles avaient eu de la chance en tombant sur des voyous... raisonnables ? Était-ce seulement compatible ?

Elle préféra cependant se dire que oui, elles avaient eu cette chance et qu'elles ne devaient en aucuns cas baisser leur garde dans ces mers. Après le départ des pirates qui partirent de la même manière qu'ils étaient venus : ridiculement fulgurante, la femme aux oreilles soupira en se tenant la poitrine.

-Oufh ! ...

Talya, quant à elle, avait gardé -ou fait mine de garder- son sang froid tout le long de l'opération, narguant presque leurs détrousseurs. L'elfe admirait ce pouvoir, qu'elle ne possédait pas toujours, avoir la possibilité de se montrer imperturbable était quelque chose qui en jetait. Ehawee était trop émotive, bien que cette fois-ci la fatigue et le désespoir de cette aventure l'avait tant malmenée qu'elle ressemblait à une vulgaire plante desséchée. Alors oui, certes, cela la rendait imperturbable, d'une certaine façon...Mais cela lui donnait aussi une sensation terrifiante dont elle n'avait pu se défaire depuis la veille. Son corps était bien sur Salvator, mais son esprit se trouvait encore dans les eaux tumultueuses, agitées par les créatures marines et jamais rassasiées de la si petite silhouette d'Arkos dérivant au loin.

-Tu vas bien ? Demanda-t-elle à l'humaine alors qu'elle avait l'air moins chamboulé qu'elle. C'était quelque chose...Fit-elle les mains sur le front, puis sur les yeux. De subtils clapotements purent se faire entendre de sa cage thoracique avant qu'il ne se transforme en un rire dénué de toutes raisons. Ce qui ne semblait avoir été qu'une manifestation nerveuse, conséquence des situations extrêmes, commençait à devenir quelque chose de monstrueux. Pendant presqu'une minute, elle se tordit, la gorge déployée, puis s'affaissa sur ses genoux, s'agrippant le ventre et dut se retenir pour ne pas choir complètement tout en essuyant des larmes, peu nombreuses, mais grosses comme des cailloux. La bulle dans son esprit éclata et l'émergence avait été nécessaire.

Du haut de ses cent-quatre-vingts-huit ans, l'archère commençait tout juste à découvrir ce que voulait vraiment dire le mot 'aventure'. Tuer quelqu'un par légitime défense, ne pas réussir à sauver un autre tout en réchappant à la mort, manquer de tuer quelqu'un d'autre à cause de l'ignorance, manquer à nouveau de mourir pour un oui ou pour un non...Elle parvenait à se dire qu'elle avait été totalement folle d'être partie aussi loin aussi peu préparée...avec de parfaits inconnus. Qui pourrait lui reprocher d'en douter ?

-Tout va bien, déclara-t-elle à l'attention de Talya qui aurait pu s'inquiéter de son état. Elle fixa alors ses pupilles sur cette femme si jeune et pourtant si forte, tout en se demandant ce que ce siècle et demi de vie d'écart avait bien pu lui apporter. La réponse était pourtant évidente : la foi. Elle avait peut-être mis beaucoup plus de temps que d'autres, mais c'était ce temps qui avait été nécessaire pour qu'elle puisse croire en elle. Même si ses voyages futurs lui apporteront sûrement bien d'autres malheurs, elle pouvait désormais se redresser, empoigner fermement son arc et se déblayer un chemin jusqu'à ses objectifs.

-Je suis désolée pour ce spectacle...Mais ça va mieux maintenant. Fit-elle sur un ton rassurant, sachant parfaitement ce qui venait de se passer. Après tout, ce n'était pas car un elfe vivait éternellement qu'il pouvait refréner ses émotions, le monde sensible est quelque chose qui dépend de chacun et peut-être lui faudra-t-il encore un millénaire avant de pouvoir maîtriser le sien. Tu peux compter sur moi, on va y arriver, conclut-elle, les yeux dans les yeux. Elles n'étaient pas tout à fait au bout de la traversée, et les dangers de Wystéria semblaient nombreux. Ehawee jugeait qu'elles devaient s'entraider mutuellement jusqu'à qu'elle soient sauves, et de toutes manières, elles n'avaient sûrement pas d'autre choix si elles tenaient à la vie. Mais comment confier sa vie à quelqu'un qui se montrait si faible ? Elle ne voulait surtout pas paraître pour celle qui flanche complètement.

-Il était charmant.

Lança Talya du haut de son inévitable naïveté en regardant l'embarcation pirate s'éloigner. L'homme au grimoire avait ce quelque chose de spécial qu'elle avait senti dès ses premiers mots et, aussi dérangeante cette sensation était, lui faisant frissonner le dos, elle comprenait que ça ne signait aucunement la fin de leur voyage. Son œil se tourna vers l'avant du vaisseau, où les flots continuaient de prendre l'horizon sans laisser trace de terre, loin d'elle, la pugiliste se sentait trop démunie, malgré les douleurs de son corps, celles de son crâne, des choses qu'elle avait su faire abstraction dès sa plus tendre enfant, la terre restait un réconfort qu'il était impossible de se procurer ici, laissant un vide qui, au fond, la terrifiait.

-Je vais bien.

Elle cachait sa peur de l'inconnu, pas vraiment parce qu'elle voulait garder la tête haute, simplement parce que, comme on lui avait appris, la guerrière devait mettre de côté ses émotions pour maintenir un standard de prétendante. Talya se tourna soudainement vers l'elfe qui semblait prise par la folie. Ehawee rigolait, allant jusqu'à en pleurer tellement l'effort qu'elle mettait dans ses exclamations la prenaient au visage. Ne sachant trop quoi faire, la pugiliste regardait le bateau, cherchant presque des yeux, ceux de Salvator dans lesquels elle aurait pu se réfugier pour comprendre. À vrai dire, très loin de juger quoi que ce soit, Talya n'était tout simplement pas du tout habituer à ça, aussi stéréotypé se montrait-elle, la méditation l'aidait énormément à garder le fil dans ce monde qui lui paraissait chaque jour un peu plus fou.

Quand l'archère se calma, la guerrière lui adressa un sourire en s'approchant pour lui prendre une main, la posant au creux de la sienne, sa seconde par-dessus. Clairement pas un échange familier de sa part, ça faisait bien longtemps que sa peau n'était pas rentrée en contact avec celle d'un autre, hormis ses phalanges frappant les corps ennemis. Quelque part, elle essayait de la rassurer par ce geste, mais n'était pas très sûre d'elle.

-La question n'est pas que je peux compter sur toi, c'est que je compte sur toi. Son sourire s'effaça. Je suis désolée pour Arkos... je voulais... j'aurais aimé faire quelque chose. Viens.

Elle l'invita à la suivre sur le pont inférieur, lui faisant signe d'attendre, elle regardait le sol en cherchant quelque chose avec grand intérêt. Finalement, elle ramassa un petit caillou qui devait s'être pris dans une semelle avant d'être oublié dans le feu de l'action, sans même que les balaies ne l'aient trouvés. En revenant proche de Ehawee, elle s'assit en tailleur, posant ses mains sur ses genoux, les yeux clos, elle tapota à côté d'elle, l'invitant cette fois à s'asseoir. L'espace d'un instant, elle se focalisa sur sa respiration, le vent doux caressant son visage, passant dans ses cheveux, ignorant les mèches rebelles qui flirtaient avec ses joues. Atteindre la réelle sensation de vide recherchée lors de ses méditations n'arriverait pas, en somme, il fallait plusieurs heures de calme pour comprendre et ressentir, mais là n'était pas le but. Le caillou se trouvait juste devant la pugiliste qui resta silencieuse quelques secondes.

-J'ai grandi dans une tribu, perdue quelque part dans le désert d'Harena, un endroit calme où règne les traditions d'une déesse à laquelle je crois, à laquelle mon peuple croit. La raison pour laquelle j'ai quitté la tribu est, disons, complexe. Les dites traditions passent par là.

-C'est une élue, elle veut devenir la...

-Tais-toi Salvy. Le coupa-t-elle avec un ton parfaitement neutre, limite autoritaire. La mort est une notion qui m'est parfaitement familière et pourtant, si lointaine. « C'est étrange », des mots que j'ai prononcé un nombre peu calculable, par contre, j'ai toujours eu l'impression qu'ils sonnaient juste. Là-bas, les ifriennes*, mon peuple, nous voyons la mort avec une certaine fatalité. La pierre roula sur le sol en cercle avant de s'envoler hasardeusement pour se stabiliser et garder une position quasiment parfaite à quelques centimètres de son visage. Les choses arrivent, parce qu'elles doivent arriver. C'est aussi simple que ça, mais d'un autre côté, c'est très froid.

Cela ne voulait pas dire que Arkos est mort parce qu'il devait mourir, mais que sa fin était écrite par quelque chose de plus grand, de difficilement imaginable. Talya ne savait pas trop pourquoi elle lui parlait de ça, encore moins si son histoire intéressait son interlocutrice, peut-être essayait-elle de s'expliquer sur la raison du manque d'émotion qu'elle pouvait avoir face au défunt compagnon de l'elfe, ou juste changer l'aspect de l'événement.

-Je ne suis pas sans faille, Ehawee. Mes idées, mes convictions sont très souvent bien plus simples à expliquer qu'à mettre en œuvre. Ce que je pense, c'est que, Arkos était un guerrier, grand ou petit, aucune importance, c'était un guerrier, mort en guerrier. Je pense que ces pirates n'auraient eu de but à nous tuer, que d'alourdir leurs esprits. Je pense simplement que le monde qui m'entoure, aussi dur soit-il, est exactement comme moi, jamais sans faille. Elle laissa un long silence. Ça fait prétentieux ?

Talya gloussa, la pierre retomba, réceptionnée dans les airs, pile dans la paume de la pugiliste. Son visage se tourna vers sa partenaire, ses yeux ouverts, elle la fixait, mais le sourire qu'elle abordait face à cette blague maladroite s'éclipsa sur l'instant.

-Ça ne s'applique pas qu'à moi, le monde est comme toi, le monde est comme chacun de nous : jamais sans faille.

Ce n'était pas un discours d'enfant qu'elle offrait, mais bien celui d'une femme... ou d'une illuminée, selon le point de vue. Dans tous les cas, si la petite guerrière lui disait ça, c'était bien parce qu'elle savait l'archère capable de comprendre. Posant sa main sur sa tête douloureuse, un rictus fatigué lui échappa.

-J'ai tellement de questions à te poser, sur toi et les tiens.

Puis, prise par l'excitation de l'instant, totalement contradictoire à ce qu'elle venait de dire, elle l'assaillit de question.

-Vous pouvez vraiment vivre éternellement ? T'as quel âge du coup ? Pourquoi vos oreilles sont pointues ? Vous mangez vraiment que de la salade ? Pourquoi tu veux partir sur Wysteria ? T'as de la famille qui t'attend ?

-La question n'est pas que je peux compter sur toi, c'est que je compte sur toi.

Deux mains se blottirent contre celle de l'elfe qui fut réceptive à ce contact. Une onde de chaleur parvenait à se hisser le long de sa colonne vertébrale, aboutissant à une sensation étrange mais agréable de picotement sur sa nuque. Ehawee acquiesça avec un léger sourire. Talya avait raison, il n'en pouvait être autrement. Ses états d'âmes n'y changeaient rien : elles étaient maintenant seules dans cette expédition périlleuse, voilà tout.

Suivant d'une tête curieuse les déplacements de la pugiliste, l'archère la suivit sur le pont inférieur. Respectant son voeu, elle s'assit à côté d'elle intriguée par la démonstration qu'elle lui préparait et se mit en tailleur exactement à l'identique, l'imitant au cas où cela avait son importance pour la suite. Patiente, elle l'examina se concentrer quelques instants avant de parler de ses origines, de son rapport à la mort et d'Arkos. Ehawee se sentait honorée de se voir confier l'histoire de la guerrière et de son peuple en qui elle imaginait déjà milles sagesses mais le ton du discours la recentra sur la question de la fatalité. Ses yeux s'écarquillèrent quand elle vit le caillou gravité par magie. Elle devait admettre que cela avait eu son petit effet et qu'il était toujours impressionnant de voir un arcaniste révéler ses talents pour la première fois. Au fond, la créature sylvestre comprenait bien ce que la brune voulait dire et cette logique était efficace sur un point : ce qui est passé est passé, inutile de se torturer au regret.

-Merci, Talya l'Ifrienne, tes paroles apaisent mon esprit.

Son sourire tendre se figea sur sa face lorsque la jeune femme la bombarda de question sur les elfes. Elle supposait qu'il était convenable de parler de soi, dans le cas où son interlocutrice s'était dévoilée elle-aussi.

-Effectivement, nous pouvons vivre éternellement, même si rien ne l'est jamais vraiment. À part peut-être l'espace et le temps ? commença-t-elle par nuancer. Cela nous donne aussi une vision de la mort différente. Nous considérons la Nature comme une entité divine, et à ce titre, nous veillons à ce que son cycle perdure. C'est pour cette raison que nous sommes si proches de la forêt et que nous vivons pour protéger ceux qui y vivent. Elle fit une pause où son regard bifurqua sur l'harenienne. Je pense que tu as raison au sujet d'Arkos. Il est mort et ce sont des choses qui arrivent...Néanmoins, ses yeux revinrent se perdre sur le plancher et sa voix se teinta d'une pointe d'amertume, si des hommes et des femmes ignorants sont capables de briser le cycle en détruisant, chassant, pillant nos terres nourricières, alors cela ne veux-t-il pas dire que le fil de la vie peut être influé par la volonté ? Je pense que nous aurions pu empêcher cela, si nous en aurions eut les moyens concrets, mais que, en effet, il est inutile de nous apitoyer sur ce sort. Cette dernière phrase était dite sèchement, tandis qu'elle se releva pour regarder les vagues, les mains sur le bastingage d'à côté. Son coeur se serrait fort. Au fond, elle éprouvait de la culpabilité, pourtant elle n'avait pas tant connu cet Arkos, pour ne pas dire qu'il lui était totalement inconnu. La raison de cette empathie venait alors tout simplement de son propre égo, de son éducation et de son émotivité. Elle se dit un moment qu'elle n'était alors qu'une hypocrite de se mettre dans tout ces états, mais peut-être qu'elle considérait simplement une vie à sa juste valeur ? Peut-être qu'elle la voyait comme précieuse, et ce, peu importait s'il s'agissait de quelqu'un de proche ou non.

-Tu as raison de dire aussi que c'est une idée plus simple à dire qu'à faire. L'affect bien souvent dans ce genre de situation prend le pas sur la raison. Elle parlait en connaissance de cause, ne se rendant pas vraiment compte que cela ne pouvait la concerner qu'elle, étant plus sensible que la moyenne. Puis, elle se retourna en direction de la jeune femme, les lèvres légèrement étirées. Du reste, je dois avoir à peu près dix fois ton âge. Il serait d'un ridicule d'imaginer que sur tout le continent de l'ouest, là où il y a le plus de diversité végétale, nous ne trouvons que de la salade, n'est-ce pas ? Je crois, là aussi qu'il y a méprise, nos oreilles sont très biens, je n'ai pas à justifier leur forme, ce sont les vôtres qui ont un problème ! Déclara-t-elle en rigolant, feignant avec exagération d'être l'une de ces personnes convaincues de leur propre concept de normalité. Même si, bon, dans un sens, elle avait juste : les oreilles pointues étaient bien là en premières...

Elle se posa à nouveau auprès d'elle, après avoir été cherché son sac de voyage duquel elle sortit un pain elfique. Une fois partagé en deux, elle tendit un bout à l'aventurière.

-Voici autre chose que de la salade. Promis, il n'y a aucunes substances hallucinogènes. Après cette note d'humour d'une maladresse exceptionnelle, elle dévora son morceau. Avoir été réconforté lui avait rendu l'appétit et il était coutume que les voyages demandaient beaucoup d'énergie. Cela tombait bien car ce fameux pain contenait tellement de nutriments qu'il en suffisait d'un pour être rassasié pour la journée. Une fois avoir avalé deux bouchées, elle reprit. Pour ce qui est de Wystéria, je ne connais personne qui s'y trouvent, mon objectif est autre, et toi ? retourna-t-elle de manière floue afin d'éviter de devoir s'expliquer pour le moment sur l'obscur et inquiétant sujet qu'était l'Immatériel.

-Aïe aïe aïe, ça papote, ça papote, et attendant c'est toujours moi qui fait avancer tout le schmilblick ! J'vous jure...

-Tout est toujours influençable, le monde n'est pas une route tracée, et quand bien même elle l'est, rien ne nous empêche d'en tracer une autre nous-même... pas sans conséquence. Si creuser un nouveau chemin à de quoi nous fatiguer, piller et détruire à de quoi nous faire tuer ou pire.

Tout cela dans une certaine limite, mais cette réflexion relevait d'un niveau philosophique qu'elle n'avait toujours pas acquis. À vrai dire, Talya se surprit à froncer les sourcils d'incompréhension, elle croyait s'être contre-dit sans l'avoir fait. Ce qu'elle voulait dire, c'était qu'il fallait voir les choix et les actions comme des mouvements influençant le monde par la volonté d'une personne désignée, rattrapés par l'inévitable fil du fatalisme. Ça ne voulait pas non plus dire que chacune des actions sortant du contexte de la construction de plus grand étaient punies, simplement qu'il n'était pas possible de concevoir la volonté comme sortant du joug de cette force que l'on pouvait considérer comme la seule et unique forme d'influence du monde. Fallait-il obligatoirement que le monde soit influencé par plus grand ? Peut-être. Fallait-il qu'il le soit pour que cette soudaine, saugrenue, limite incompréhensible réflexion est une chance d'être vraie ? Complètement. Pour l'instant, aussi loin que Talya pensait, elle n'était absolument pas capable de prononcer des mots correct pour tenter de l'expliquer à l'elfe.

La pugiliste tâta le bout de ses oreilles en ricanant, au-delà du fait que Ehawee avait raison d'un point de vue historique, la pugiliste, elle, ouvrait les yeux sur quelque chose placé devant son nez depuis le début sans même qu'elle y ait fait attention : « et si ce n'était pas les autres qui étaient différents, mais seulement moi ? ». Une nouvelle réflexion, cette fois bien plus simple, pour autant n'offrant pas de réponse convenable ou bonne d'éthique. Elle remit en question sa « légendaire » humilité en se replaçant en tant que tel, une étrangère sur un sol étranger... du moins, une femme sur le parquet d'un bateau qui parle.

Elle aimait beaucoup la manière dont les siens considéraient la nature, c'était presque comme si toutes les choses qu'elles avaient en commun tombées en même temps, à la différence près qu'elle ne voyait pas la nature comme une entité divine, mais comme étant dirigé par une entité divine.

-Merci. Faudra m'expliquer ce que j'ai fait quand j'étais... euh... Défoncée ? Déchirée ? Ailleurs.

Le pain elfique avait bon goût, il commençait sûrement à prendre de l'âge, mais restait clairement de meilleur facture que la nourriture qu'elle se trimballait.

-Hm !

S'exclama-t-elle le pain dans la bouche à la question qui lui était posée. Elle se précipita auprès de son sac -toujours le pain dans la bouche, soit dit en passant- pour en sortir son manuscrit ifrien sur Dùralas. Elle attrapa sa plume et le fond d'encre qui lui restait pour amener le tout proche de sa partenaire. En l'ouvrant, c'était tout un tas d'informations plus ou moins vraies sur le monde, accompagnées de quelques notes de sa part. En s'arrêtant sur la double page accordée aux elfes, elle ratura discrètement le « mange de la salade » avant de continuer un peu plus loin sur la fameuse île tant convoitée et là, surprise, quasiment rien. Ce qu'il était facile de remarquer, c'était les fautes d'orthographe qui, en fait, était la manière dont les Ifriennes appréhendaient l'écriture, gardant le plus simple de la sonorité des mots, pour les retranscrire de leur plume.

-Ch'est un mamufcrit qui hmpf... oh, pargon. Elle déglutit en balayant d'un revers de la main les miettes qu'elle venait de cracher comme une malpropre sur ses pages. C'est un manuscrit qui regroupe les connaissances de mon peuple sur Dùralas. Wystéria n'a était que brièvement décrite par les quelques femmes qui m'ont précédé, beaucoup parlent de défis, d'accomplissement et de compréhension méthodique de la nature, ça peut paraître bête, mais c'est la curiosité qui m'amène là.

-Et c'est la curiosité qui t'as permis de monter sur mon pont ?

-Je ne comprends pas ton sarcasme.

-Moi non plus, mais ça m'fait quand même rire.

-Je pense que je ne t'ai pas rencontré par hasa...

-Ah nan, recommence pas, j't'écouterai pas de toute manière.

Un haussement d'épaules témoignant d'une légère frustration lui échappa, elle n'arrivait pas à concevoir que toutes ces histoires de destin -à peu près- prédéfinies ne pouvaient pas passionner les gens. Confronter les idées et religions pour déceler les failles, ou incohérence de chacune pouvait permettre deux choses : l'appréhension de sa personne ainsi que sa pensée, ou le lancement de guerres saintes sanguinaires.

-Tant pis, on en a encore pour combien de temps de voyage ?

-Je sais pas, j'ai jamais fait l'voyage. Je dirais, selon mes savants calculs, mon intellect surpassant chacun de vos misérables cerveaux mous, une petite journée de voyage. Avec un peu de chance, on y sera ce soir... sûrement demain matin, ou demain soir dans l'pire des cas.

-On a du temps devant nous alors...

Ce fut un long silence qui s'installa, faisant apparaître une moue dubitative en grignotant de plus bel son pain elfique, Talya réfléchissait à un moyen de faire passer le temps plus vite. Une séance méditative sur la conceptualisation du bonheur par chacun ? Non, il ne fallait pas que le temps passe trop vite. L'approfondissement de la maîtrise de ses danses guerrières ? Ehawee risquerait de se sentir exclue.

-Je me disais, tu dis que t'as plus d'un siècle et demi d’existence, t'as dû voir plein de choses, des choses fascinantes... tu... elle lança un regard faussement innocent vers le ciel, peux m'apprendre deux ou trois trucs ?

-Sinon j'peux vous raconter là fois ou j'avais une branche coincée dans la proue pendant dix ans.

-D'accord, mais je te fais un cours sur l'avenir après.

-Ok, j'laisse ma place.

-Super ! S'exclama Talya en se penchant vers l'elfe. Tu viens des forêts Sylfaën ? T'as vécu à Endorial ? Haaaan... gémit-elle d'excitation, je me suis toujours demandée ce que ça faisait de vivre là-bas.

Il fallait dire que, soudainement, la petite guerrière avait forcé sur les idées de forces et puissances immatérielles, ayant l'impression de pouvoir réellement en discuter avec quelqu'un qui la comprenait sans la pointer du doigt en se moquant. Alors il était peut-être temps de rediriger la conversation sur moins casse tête.

L'elfe regardait avec envie les pages défilés. Elle aussi tenait un carnet de voyage et elle était ravie de partager ce point commun avec Talya. Ce regard sur le monde était encore incomplet pour toutes deux et Ehawee se gardait bien d'avoir la prétention de le compléter un jour, mais tenter de le faire et de l'inscrire sur des pages était une activité passionnante.

-Tu es une sorte d'ambassadrice ifrienne ? Questionna-t-elle à l'attention de l'harenienne au parcours pour le moins étonnant. C'est fou, partout où je vais, je rencontre des personnes toutes aussi surprenantes. Je suis curieuse de voir quel genre de peuple vit à Wystéria.

Alors qu'elle était plongée dans les souvenirs de ses précédentes aventures : la savane, le lac Fresha, la chamane des Baldors, l'archère fut extirpée de ses pensées par la requête de la pugiliste. Oui, une jeune humaine aussi vive d'esprit qui avait déjà vu supposément tant de choses devait bien s'être rendu compte d'à quel point Dùralas était riche et vaste. Une personne de cent-quatre-vingts-huit devait forcément avoir des sens accrus, un mental affûté par le temps et une tête bien remplie. La gorge d'Ehawee se serrait lentement. Elle n'avait pas l'impression d'être plus savante. La réponse sidérante était que ce siècle et demi n'était pas grand chose, sinon rien. Rien qui ne rendait la vie plus compréhensible. Le monde était tout aussi peu saisissable. Le cycle était toujours le même, ses acteurs, simplement différents.

Les questions la sauvèrent, alors elle put éviter de s'étaler sur le sujet, même si elle le faisait quand même malgré elle.

-En vérité je suis née à Endorial, et j'ai passé la plupart de ma vie là-bas...Oh, c'est un endroit magnifique, il y a beaucoup à découvrir ! Par exemple, ce que j'adore le plus, ce sont ses maisons suspendues dans les arbres. Mais c'est pour apprendre des autres que je suis partie voyager, se rattrapa-t-elle, recentrant la raison de sa présence sur le noble objectif de l'ouverture culturelle. Tu dis que la curiosité paraît être une raison stupide, moi, elle m'a sauvé d'un quotidien morose.

Elle se redressa, planta ses iris gelées sur la peau mate de la femme. Cette phrase lui avait comme échappée, elle s'était simplement confiée, sans craintes. Étrange. Alors, comme la pesanteur s'alourdissait sur le pont, elle chercha fastidieusement un autre sujet de conversation. Elle devait bien avoir quelques astuces à lui transmettre ! Par les esprits ! Avait-elle véritablement passé plus de la moitié de sa longue vie à ne rien faire dans la canopée ? Bien sûr que non, on ne fait jamais vraiment rien. Elle trifouilla donc sa mémoire.

                       

...
...Je tirais...
...Dans ses branches...
...Je peignais ses milles feuilles...
...J'apprenais, j'escaladais, je jouais...
...Je courais en son sein, je pleurais, je riais...
...Je lui confiais, éprouvais, de tout mes rêves...
...Je l'écoutais parler, chanter, conter...
...Même dans la nuit il guidait...
...M'enchantait de couleurs...
.....Me berçait.....
...Plus seule...
Blottie
Sauve
Par son
Écorce
Jusqu'à
Être...enfouie
Dans....les....confins,
Dans......les......entrailles
De.............la............terre.

Les esprits protecteurs de Sylfaën était son secret le plus précieux, comme si elle n'avait que ça. Elle pouvait simplement donner sa vie pour eux, mais elle voulait bien partager une partie infime de ce savoir avec l'ifrienne. Le seul savoir qu'elle détenait et qu'elle trouvait primordial. La seule chose dont elle aurait l'audace de penser avoir en plus. Elle se positionna devant elle, en tailleur.

-Je veux bien te montrer quelque chose, je suis sûre que tu seras à même de le ressentir, déclara-t-elle. Si tu le veux bien, ferme les yeux. Inspire et respire profondément, avant de faire le vide. Relâche ta volonté, ton emprise, sur tout. Tu ne vois plus rien, pas même les rayons du soleil persistant à travers tes paupières rouges. Tu ne sens plus aucunes odeurs, ni le sel marin, ni la moisissure de Salvator, ni plus rien du tout. Exclue aussi tout les bruits qui te vienne, et ne garde que ma voix. Puis focalise toi sur ta peau, ton flux d'air, ta déglutition, la gravité, tout ceci n'a plus aucuns effets. Lorsqu'enfin, tu feras disparaître le son de ma voix, alors peut-être que tu sentiras ce qu'il te reste.

Ce qu'il restait, si l'élève réussissait cette profonde méditation, était l'éther, l'énergie vitale et la force la plus pure qu'il puisse exister en ce monde. Supprimer une à une les barrières qui empêchaient une personne lambda de le percevoir était un exercice difficile, mais Ehawee avait prétentieusement perçue le trait d'humilité nécessaire à ce processus chez l'humaine.

-Ambassadrice ? Nan, pas du tout. En fait, j'ai aucune idée de ce que ça veut dire.

Le concept d'ambassadeur et d'ambassadrice était un peu loin de sa culture, encore nouvelle née en Dùralas, ce n'était pas comme si elle commençait tout juste à faire la différence entre un goblin et un orc. En fait, elle aurait pu dire que, Talya, la petite guerrière à la peau mâte, était une élue de sa déesse, mais c'était une erreur qu'elle se permit de faire trop de fois pour retenir la leçon. Les gens avaient cette étrange tendance moqueuse à apprendre cela et, si que l'on se moque ne la dérangeait pas tant que ça, refroidir l'atmosphère la mettait en position de gêne intense.

Talya, avait arrondit son dos en penchant sa tête vers l'avant, pendue aux lèvres de l'elfe. Des maisons dans les arbres, la forêt, une ville dans la forêt. Fantastique, incroyable. Elle aurait aimé en entendre plus, quand même, la pugiliste voulait tout savoir, absolument tout. Cependant les derniers mots d'Ehawee forcèrent un très léger, mais perceptible, froncement de sourcils. « Quotidien morose », peut-être que, en effet, passer une centaine d'année au même endroit devait... jouer sur le moral. En fait, Talya avait tellement envie de tout voir, de tout reconnaître, comprendre, qu'elle se demandait comment une personne censée pouvait se permettre d'ignorer le monde qui l'entourait et ne pas partir à l'aventure. Sûrement parce que les villes n'existeraient plus, détruisant de se fait tout ce qu'il y a à visiter.

Quand sa partenaire d'infortune lui proposa de lui faire découvrir, ressentir quelque chose, et bien voilà en effet une capacité dont elle était bien à même de se targuer. La jeune guerrière se redressa sur ses lombaires, inspira un grand coup avant de fermer les yeux et se concentrer sur son nez, en premier lieu. La respiration. Inspirer par le nez, expirer par la bouche, puis stabiliser le tout en une douce harmonie. Il fit soudainement complètement noir, elle était détendue, mais droite, ses paupières closes ne laissaient plus rien entrer. L'air qui s'engouffrait dans ses poumons n'eut bientôt plus aucune consistance.

De longues minutes s'écoulèrent, des minutes bercées par le bruit de l'océan, enfin, plus rien. Aveugle, muette et sourde, elle ne sentait plus que son corps qui coulait lentement hors de ses préoccupations. Les pensées s'enchaînaient, malgré cela, il ne fallait pas les ignorer, cela empirait la distraction, il suffisait de les laisser passer, de les comprendre, de les accepter et de passer à la suite. Il n'y avait plus qu'un flue continue qui vînt à s'incorporer. Enfin, son corps n'était plus qu'une enveloppe... une enveloppe qui respirait encore, dieu merci. Cette « disparition » ne s'était pas faite en un rien de temps, une sorte de transe qui lui avait pris une longue demie heure, peut-être plus, de méditation. Finalement...

Ses yeux s'ouvrirent, comme au réveil, elle dut se faire à la différence de luminosité. Passant sa paume sur son front, frottant ses paupières, la pugiliste était de retour sur le bateau, Ehawee était là, Salvador aussi visiblement -très visiblement- et le temps était toujours aussi radieux. Le vent sur la coque, l'odeur de la mer, et le clapotis des vagues.

-Je... me sens bizarre. Je te rassure, j'ai pas envie de vomir, juste... je... suis pas sûre de ce que j'ai senti, c'était... très infime comme sensation.

Son regard parcourut les planches du navire, perdue. Impossible de décrire réellement ce qu'elle avait ressenti, mais elle l'avait bien ressenti. C'était comme découvrir une nouvelle couleur : comment peut-on décrire une nouvelle couleur ?

-J'ai cru voir, non, toucher... peut-être sentir un très court instant quelque chose. Plutôt, hésita-t-elle, comme une présence singulière, mais en même temps, complètement inconnue.

Elle ricana. Ce qu'elle disait n'avait aucun sens, plus Talya y pensait, moins les idées de description lui venaient à l'esprit. Amusée, la pugiliste s'avoua vaincue.

-Va falloir que tu m'expliques. Sourit-elle. Parce que sinon je vais te noyer de questions.