L'équidé avait quitté Stellaraë depuis la veille, à l'aube. Mais le début de son voyage, lui, avait commencé au moins depuis une bonne semaine dans les confins des Montagnes du Baldor, à la poursuite de sa proie. Elle était sur la piste d'un orc des plus malicieux et discret. Il savait brouiller les pistes, dissimulant astucieusement les traces laissées derrières lui, tout en maintenant une distance raisonnable avec sa prédatrice. Et malgré les motivations qui poussaient Veronia à le traquer, il fallait admettre qu'il s'agissait d'une des chasses les plus longues qu'elle ait pu réaliser ces dernières années.

Ces moments de solitude lui permettaient également de prendre toute mesure de sa récente perte. Son mentor n'étant plus de ce monde depuis peu, et chaque fois qu'elle y repensait c'était pour mieux plonger dans de profonds tourments psychologiques. En effet, l'équidé se sentait responsable d'avoir brisé sa promesse, et bien que ce fut le vieux mage qui lui avait conseillé de poursuivre sa destinée, elle ne parvenait pas à accepter la chose. Bien qu'elle ne fut plus désormais une jeune centauresse inexpérimentée et fragile, elle était toujours en phase de deuil, et cela prendrait le temps qu'il faudrait jusqu'à ce qu'elle comprenne qu'elle n'était pas coupable de ce décès.

Toujours vêtue de son accoutrement habituel, de ses trois lances sur le flanc droit, de son bouclier et de son épée sur la flanc gauche, elle avançait convenablement dans le désert. Les quelques gourdes accolées à son équipement étaient plutôt gênantes pour la centauresse qui aimait jouir pleinement de sa mobilité équine, mais ne valait-il pas mieux ce petit désagrément plutôt qu'une mort liée à la déshydratation ? Á dire vrai, elle n'eut pas le temps d'apporter une réponse à cette question. Elle constata au loin un gros rocher dont débordait un membre vert... Un pied ou un morceau de bras. Cela importait peu, la jeune femme arma son bras droit d'une lance et commença à galoper. L'élan qu'elle prenait lui permettait dans ses meilleurs jours de projeter un javelot à près de 200 mètres. Mais en une fraction de seconde, constatant que les empreintes récentes dans le sable ne semblaient pas avoir été dissimulées et faisant rapidement une synthèse des dernières informations glanées à Stellaraë, elle comprit qu'il ne s'agissait pas de celui qu'elle traquait depuis presque deux semaines maintenant. Mais son impulsivité, comme bien trop souvent, avait eut raison d'elle. L'arme était presque lâchée dans sa course tandis qu'elle tenta tant bien que mal de le faire dévier un minimum avec un petit de coup de poignet.

C'était moins une. La pointe de l'arme vint s'échouer dans le sable à quelques centimètres du membre verdâtre. N'ayant pas cesser sa course pour autant elle passa au galop à proximité du rocher, récupéra habilement sa lance et s'exécuta dans un petit demi-tour au trot avant de se retrouver, face à face, à une bonne dizaine de mètres de l'orc. Elle profita pleinement de l'effet de surprise pour récupérer son bien et ne pas être pris au dépourvu par la réaction du voyageur. On ne savait trop souvent que tardivement sur qui on tombait... Et d'une voix douce elle osa.

Hmm... Pardon.

Comme si cette entrée en matière n'était déjà pas du ressort de la folie, elle se permit d'ajouter, sans gêne, aucune.

Faut dire que vous êtes tous de la même couleur.

Et c'est pas comme si c'était simple de vous différencier en un coup d’œil sur votre margoulette...

Une chose était sûre ; l'orc venait de rencontrer Veronia dans toute sa finesse...

Tenant sa lance bien à l'horizontal, tout en observant l'orc avec insistance, elle comprit bien vite qu'aucun échange sanguinaire ne se poursuivrait en ces lieux. Redressant son arme pour la tenir désormais à la verticale, elle laissa reposer l'extrémité de cette dernière sur le sol. Sans gêne, elle continua à dévisager son interlocuteur et son animal de compagnie qu'il tenait visiblement par la force des bras, afin probablement de se prémunir de tout agissement instinctif.

« Je ne parle pas ta langue. »

Elle soupira. Déçue de croiser la seule personne dans ce désert qui ne parlait pas sa langue natale, mais le harenien. Fort heureusement elle avait compris ces quelques mots. Ces longues aventures auprès du vieil elfe avait eu quelques bénéfices, et bien qu'ils furent trop maigres pour espérer dialoguer convenablement avec la créature verte, cela serait suffisant pour l'heure. Elle s'essaya donc à des excuses des plus rudimentaires.

Donpar...

Elle lui offrit un sourire. Un de ceux qui veulent dire : j'espère ne pas avoir dit de conneries... Mais ça, l'orc le traduirait à sa convenance, n'est-ce pas ? Peu assurée par sa maîtrise basique de la langue, elle poursuivit tout de même sans fioritures, aucune, ses deux ambres braquées sur son interlocuteur et son compagnon, se tapotant de la main gauche le torse.

Moi, Veronia Pyraethus.

Une nouvelle fois, elle sourit. Cette fois-ci sans retenue. Elle s'interrogea intérieurement sur la suite de cette discussion. Pour l'heure il était difficile d'envisager quoique ce soit d'hostile entre les deux voyageurs, mais tout pouvait arriver et il fallait s'y préparer comme le lui avait appris ses deux siècles passés. Enfin, c'est plutôt sereine qu'elle attendit la suite des évènements. L'orc avait toutes les cartes en main cela dit.

La centauresse inclina la tête respectueusement lorsqu'il se présenta et sembla toutefois presque poser un genou à terre à l'attention de loup. Pour une race hybride aussi proche de la nature, Veronia avait appris à reconnaître la valeur de toutes vies sur cette bonne terre. Aussi elle se redressa toisant les deux compagnons longuement avant que l'orc ne lui adresse à nouveau la parole dans la langue commune. Elle répondit, sa lance toujours verticale dans sa main droite.

Je vais au Camp Orc, oui.

Un regard insistant se posa sur l'orc, mais en réalité la centauresse réfléchissait à la manière de lui faire comprendre l'objectif de son voyage. Ainsi, du bout de sa lance elle dessina dans le sable trois symboles, espérant que son interlocuteur comprenne son objectif du jour. Le premier symbole constituait une flèche vers elle, pour la représenter le plus sommairement possible. Vint ensuite un autre croquis, un arc ni plus ni moins tracé dans le sable, pouvant se traduire aux yeux de l'équidé comme un symbole propre à la chasse. Et pour conclure cette séance artistique médiocre, un quelque chose que l'orc pourrait identifier comme un individu, une personne finalement.


Elle releva le nez sur les deux voyageurs, glissa doucement sa main gauche sur son flanc gauche, dans une besace latérale, pour en sortir un portrait de sa cible. Tendant la feuille à la peau verte, restant sur ses gardes, elle patienta après avoir ajouté.

Vous le connaissez ?

Veronia, malgré la simplicité du langage de Dranosh n'eut pas de mal à échanger avec lui. Leur échange, comme le sourire de son interlocuteur, étaient des plus rudimentaires, mais ils avaient au moins le mérite de se comprendre. Et fort heureusement, car l'équidé savait combien un orc pouvait s'avérer dangereux si la discussion, par souci de compréhension, avait mal tourné. C'était un bon point. Il fallait dire que lui et son loup, ne l'inquiétait guère. S'il avait fallu en arriver aux mains, elle n'était pas du genre à douter ou se dégonfler, mais cela n'aurait que fait de la ralentir dans sa quête personnelle de Justice.

Soudain, elle leva un sourcil, grandement étonné de voir que l'orc était prêt à l'aider. Probablement avait-il suffit que la cible fusse un clan ennemi de la peau verte pour le motiver, ou était-ce pour d'autres raisons qu'il se joignait à elle ? Elle ne le saurait sûrement jamais. Et à dire vrai, elle n'eut pas été très intéressée par cette information. Retenant pour l'essentiel qu'ils seraient deux, cela ne faisait qu'accroître ses chances de réussite. Puis, son regard s'échoua sur le loup. Trois, du coup. Ainsi le trio avait repris la route avant, qu'au bout de quelques heures, la centauresse n'ajoute.

Si la Tribu Sk’arrish sont vos ennemis, nous devrons les approcher dans la nuit, au crépuscule dans le pire des cas.

Elle sembla réfléchir, marquant une pause verbale, tout en continuant à marcher le regard vers l'horizon.

Nous devons procéder silencieusement. Je n'ai qu'une cible qui m'intéresse, et je n'ai l'objectif de me retrouver avec un campement orc sur le dos. Vous avez une idée pour procéder ?

Veronia avait repris son esprit de chasseuse de tête, sans prendre gare à son vocabulaire qui, n'était peut-être plus à la portée de la peau verte. Ne se rendant pas compte si l'orc avait compris ou non, elle continua tranquillement sa route, attendant une réponse. En réalité, elle avait une belle idée pour approcher la cible, mais c'était fort sûr que ça ne plairait pas à son compagnon de route...

Son compagnon de voyage connaissait donc la proie, la qualifiant même d'être, à priori solitaire. Ce n'était pas une mauvaise chose pour eux, il serait moins difficile de passer inaperçu pour supprimer cette engeance. En effet, après quelques heures de marche le camp duquel ils approchaient n'avait rien d'un petit hameau, il semblait s'étendre massivement de tous bords. Au loin, la lune s'élevait avec timidité tandis que la pénombre gagnait peu à peu l'océan de sable sur lequel les voyageurs progressaient depuis leur rencontre. La centauresse resta dubitative quant à la possibilité de localiser et d'exfiltrer un individu parmi une si grande masse, comme l'avait suggéré Dranosh. Néanmoins, c'était la meilleure solution disponible pour le trio. Rester discret en ces lieux garantissait de rester en vie... Et puis, un orc à la recherche d'un orc, ça n'avait que plus de chance de réussir. Rester à savoir comment il allait procéder.

La provocation est une bonne idée, mais cela risque d'attirer des spectateurs enjoués à l'idée de voir un duel, non ? Et si ces derniers suivent en dehors du camp... Selon leur nombre, nous échouerons irrémédiablement.

Un silence s'installa. Veronia laissa d'abord le choix à l'orc d'objecter cette hypothèse. Après tout, elle ne connaissait guère le fonctionnement interne des orcs et encore moins leur organisation sociale. Mais nul doute qu'elle aurait parié que, comme tout être capable de violence, ils auraient apprécier une spectacle de ce style. Et puis, il y eu un moment de flottement dans l'esprit de l'équidé. Elle semblait mélancolique de l'époque ou son mentor vivait encore. Elle comprit d'ailleurs que sa propre réflexion découlait de ses années passées à ses côtés. Fut un temps, elle n'aurait pas songer de cette manière... quitte à risquer sa propre vie. Ici, son instinct habituel avait été mis de côté, probablement aussi parce qu'elle était accompagnée, d'étrangers certes, mais qui ne méritaient en aucun cas de finir en dommages collatéraux.

Á bien y réfléchir, il existe une autre alternative. Cet orc sait que je le chasse depuis longtemps maintenant. Il a toujours de l'avance sur moi, prends le temps d'effacer ou d'au moins diminuer ses traces et de toujours se déplacer quand je me rapproche trop de lui.

Si vous lui faites croire que vous m'avez attrapé, peut-être arriveriez-vous simplement à le faire sortir du campement ?

Et elle sourit, malicieuse avant de laisser la peau verte répondre.

La centauresse suivait son compagnon de route. Elle aussi aux aguets, elle n'avait cependant point de craintes quant à l'orc et son loup. Pour autant elle ne les sous-estimait pas. Veronia avait simplement pris conscience de la dangerosité qu'ils représentaient et, tout en gardant cette donnée dans un coin de son esprit, elle suivait le mouvement. Le fait de ne pas avoir été invité à entrer dans le campement la rassurait davantage sur les risques d'un potentiel piège. Et le peu qu'elle avait pu voir de l'orc lui laissait une bonne appréciation de l'être qu'il était. Aussi, calmement, elle exécuta les directives sommaires de la peau verte.

Le binôme s'éloigna vers le campement jusqu'à disparaître complètement du champ de vision de la centauresse. Veronia resta à bonne portée du campement, une lance à la main, tout en essayant de distinguer sommairement ses acolytes. En vain. Malgré la nuit bien entamée, la masse d'orcs présente en ces lieux était étonnante et l'équidé n'aurait jamais pensé trouver autant d'animation à cette heure nocturne. Elle nota donc ce détail dans son esprit, pour ses prochaines expériences. Sait-on jamais, ce que l'on apprenait le jour même pouvait servir l'avenir.

Néanmoins, elle s'interrogea sur le temps que cela prendrait. L'orc savait peut-être où chercher globalement, mais l'individu était-il en ces lieux, ce jour même et à cet instant précis ? Difficile à dire. Ne sachant pas le temps que ça prendrait, elle se permit de sortir une pomme et une gourde de sa besace. Un petit casse-croûte et un rafraîchissement en cette douce soirée n'était pas désagréable. Notamment après leur voyage exténuant. Soudain, alors qu'elle se désaltérait, une torche bascula par dessus le mur d'enceinte du campement. Son sourcil se leva tandis qu'elle finissait sa gorgée d'eau. Ses yeux restèrent fixés sur la torche immobile avant que cette dernière ne gigote dans tous les sens, fuyant vraisemblablement le campement. Sans hésitation, laissant son instinct prendre le dessus, la centauresse rangea ses victuailles et s'empara de sa lance tout en galopant vers la cible. Courir dans le sable n'était pas une mince affaire mais fort heureusement pour l'équidé, elle gagnait en stabilité avec ses quatre membres inférieurs. Levant son bras, la lance bien en main, elle s'arrêta net au moment de propulser le projectile. Le sifflement aiguë qu'il produisit en disait long sur la force avec laquelle il atteindrait sa cible. Et nul doute qu'il atteignit sa cible lorsque la torche tomba au sol, au loin, accompagner d'un bruit sourd de craquement d'os.

Au loin, le bruit si caractéristique d'une proie atteinte et la chute de la torche dans le sable avait suffit à la centauresse pour comprendre que la cible était désormais inerte. Ainsi, elle regagna le lieu macabre qu'elle venait de faire naître aux abords du campement orc. Veronia ne doutait pas de l'état de santé du fugitif, mais son compagnon de route le lui précisa bien à l'approche du cadavre. Dranosh n'avait donc pas traîné. Il avait respecté sa part du marché, sans rien demander en retour. La centauresse sourit légèrement lorsqu'il la qualifia d'agile, et bien qu'elle ne comprit pas le dernier mot de son dialecte, elle ne douta pas un instant qu'il resta courtois.

Comme le souligna l'orc la chasse était bien terminée. Du moins, pour celle-ci. Veronia n'était pas ingrate d'ordinaire, mais pour autant elle ne prenait pas forcément le temps de remercier ses acolytes. Ici, elle jugea bon de le faire.

Merci, à vous deux. Sans votre aide j'aurai certainement dû attendre quelques jours avant que ce dernier ne décide à bouger de nouveau. Il y a-t-il quelque chose que je puisse faire, ou offrir, pour vous remercier ?